Européennes : le taux d’abstention va au moins diminuer en prison
A la maison d'arrêt des Croisettes à Coulaines, les détenus peuvent voter par correspondance
Crédit : KC
24 mai 2019 à 9h06 par à‰lise Catalanotti
C'est une première. A l'occasion des élections européennes, pour lesquelles nous sommes appelés aux urnes ce dimanche le 26 mai, les détenus de France votent par correspondance. A la maison d'arrêt des Croisettes, ils sont nombreux à avoir déjà glissé un bulletin dans l'enveloppe.
Mille personnes écrouées dans toute la France avaient exprimé leur voix lors de l'élection présidentielle il y a deux ans. Pour le scrutin européen de ce printemps, elles sont cinq fois plus à participer, car elles peuvent le faire cette fois sans bouger de leur établissement carcéral. C’était le cas ce lundi 20 mai à la maison d’arrêt des Croisettes, à Coulaines. Avec quelques jours d’avance donc sur l’ouverture des bureaux de vote à l’extérieur.
Une démarche facilitée
Jusqu’à présent, pour remplir son devoir de citoyen, les deux seules options s'offrant aux détenus étaient le vote par procuration et les permissions de sorties... aussi difficiles l'une que l'autre à mettre en œuvre, comme le constatait le rapport en 2013 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. La procuration nécessite en effet que le prisonnier connaisse une personne de confiance dans sa ville de détention. Or la plupart des familles n’habitent pas au même endroit. Quant aux permissions, elles sont rarement accordées pour ce motif d’après l’Observatoire international des prisons, par ailleurs tous n’en bénéficient pas. Voter, c’était donc presque un droit théorique : c’est ce qui a été expliqué à Emmanuel Macron il y a plus d'un an. Le président de la République a alors souhaité rendre possible ce geste citoyen dès ces européennes.
Moins de formalités administratives et plus de débat
Toute une organisation à mettre en place, avec d’abord une information préalable délivrée aux personnes incarcérées qui se sont inscrites pour le vote par correspondance il y a quelques semaines. Le SPIP, le Service d’insertion et de probation, la Maison de l’Europe ainsi que les enseignants en milieu carcéral se sont mobilisés, en proposant des expositions en salle de cours et de formation professionnelle. Et en consacrant les cafés citoyens du jeudi à ce scrutin. Parmi les rares, au nombre de cinq ou six, à y avoir participé, ce détenu de cinquante-et-un ans, qui a découvert, très agréablement surpris, lors de son arrivée en prison, qu’il pourrait voter. C’est donc la première fois qu’il le fait en réclusion, et c’était aussi important pour lui que de se prononcer lors de la présidentielle : "Parce que c’est un droit et un devoir. J’en ai discuté avec d’autres détenus qui ne se sentent pas du tout concernés. Je ne sais pas si c’est lié à la mentalité française où ça se replie sur soi… Contrairement à l’Allemagne… Y’a toujours un petit dédain de la population française pour ces élections, et je trouve ça dommage, parce que c’est important, l’Europe. Ben ouais, vu qu’il y a pas mal de personnes qui se sont battues pour ça, pour l’accès au vote, et que l’Europe se construise… Maintenant la paix est installée. Après on peut contester, mais d’abord, allons voter ! Ensuite on pourra se plaindre". Et sans dire exactement pour qui il s’est prononcé, il ajoute : "Sans les extrêmes on se sentirait mieux". Lui espère qu’au moins les Sarthois qui ne sont pas enfermés entre des murs se déplaceront dimanche.
Avec un peu d’avance
Comme dans les 187 autres prisons françaises, un isoloir a été installé. Et avec douze autres captifs, il a été extrait de sa cellule, et conduit dans le bureau de vote où son bulletin a été déposé dans une enveloppe XXL qui sera adressée au ministère de la Justice à Paris et dépouillée, le 26 mai, par la commission nationale indépendante, dans le strict respect de l’anonymat. Au niveau national, 5 342 prisonniers ont glissé en ce début de semaine un bulletin dans l’enveloppe mise à leur disposition à titre d’expérimentation. Ils étaient près de 10 000 à s’être inscrits partout en France sur un total de 56 000. Leur présence sur les listes électorales a été contrôlée, et les mineurs, les étrangers et les condamnés déchus de leurs droits civiques ont été exclus. Aucun des 500 et quelques prisonniers de la maison d’arrêt de Coulaines n’a fait l’objet de cette mesure. Le lieu dispose de 400 places et la durée moyenne des peines de ses occupants y est de quatre à cinq mois.
Avec cet exercice démocratique par excellence, l’enjeu est de les inciter à penser à l’après. C’est une manière de lutter contre la récidive. "Cela participe directement à une de nos missions qui est de lutter contre les effets désocialisants de la prison, explique Jean-François Nourrisson. Les personnes détenues ont été condamnées certes, mais cela implique seulement la privation de liberté ; pas l’accès à un certain nombre de droits, des droits fondamentaux : l’accès à la culture, au culte, et bien entendu le droit de voter. Ce sont des citoyens à part entière et c’est important qu’ils puissent faire valoir à cette occasion leurs droits". Une première pour ce détenu âgé de vingt ans : "C’est un vote qui sera pris en compte. J’commence en prison, j’vais continuer dehors. C’est sûr ! J’m’y intéressais pas avant, en fait, c’est en arrivant ici qu’on m’en a parlé, lors des cafés citoyens, et il faut, c’est important".
13 votants à Coulaines, c’est trois fois plus que pour la présidentielle
Toutefois il n’est pas certain que cette mesure soit généralisée et étendue à toutes les élections à l’avenir, en tout cas probablement pas pour les municipales de l’an prochain. Pas sûr que ce système soit applicable à un scrutin local, à deux tours. En attendant le bilan de cette expérience au niveau national, les statistiques réjouissent déjà l’administration pénitentiaire. Car alors qu’il est difficile de mobiliser à l’extérieur pour les européennes, le nombre de votants au sein des Croisettes a triplé cette fois. "Treize, c’est déjà un chiffre notable. C’est quand même une nette progression par rapport aux élections passées, constate Jean-François Nourrisson, le chef d’établissement de la Maison d’arrêt sarthoise. La participation était très résiduelle en 2017, de quatre ou cinq détenus, alors que la présidentielle est par nature plus mobilisatrice".
Et la hausse est encore plus sensible, spectaculaire même, dans les centres pénitentiaires, comme à Condé-sur-Sarthe, où le taux de votants pourrait avoisiner les 40% cette fois. La raison en est simple : les personnes qui y sont placées sous main de justice ont été condamnées à de plus lourdes peines, et sont seules en cellule, sans personne donc pour les décourager de voter, contrairement à ce que constate dans son établissement le directeur des Croisettes. "Ils ont accès à un ensemble de médias : la radio, la télévision qui est mise à disposition sous la forme d’une location, puisqu’elle ne leur est pas offerte, ils doivent la payer, et également l’accès aux journaux, dans les bibliothèques, précise Jean-François Nourrisson. Après, les conditions d’incarcération ne facilitent pas toujours ces possibilités d’accéder à l’information puisqu’ils sont souvent deux, parfois trois en cellule, et les problèmes de promiscuité et d’entente que cela peut engendrer font qu’ils n’ont pas toujours les mêmes centres d’intérêt, donc ce n’est pas toujours évident pour le détenu qui se sent investi de cette mission de vote de pouvoir se positionner auprès de ses codétenus, il fait parfois l’objet de moqueries". La participation électorale en milieu carcéral est donc fortement liée au type de structure accueillant les personnes condamnées.