Sarthe : "L'escroc de l'A28" est décédé, ceux qui l'ont côtoyé racontent
Une des rares photos de Philippe Berre, en chemise à carreaux
Crédit : Michel Veynachter
Publié : 30 juin 2021 à 14h35 par Manon Foucault & Corentin Allain
Philippe Berre est mort. Ce nom ne vous dit peut-être rien. Pourtant en Sarthe, il a rencontré une certaine notoriété il y a près de 25 ans. Epoque à laquelle il s'est fait connaître comme "l'escroc de l'A28". Une histoire qui nous replonge dans le passé.
En 1997, un homme âgé d’une quarantaine d’années débarque en Sarthe, sur le chantier de l’A28, où les opérations sont momentanément stoppées à cause de la découverte du fameux "scarabée pique-prune", une espèce protégée. L’individu se présente alors comme ingénieur en BTP et emploie plusieurs personnes pour relancer à lui seul les travaux. Mais au bout de quelques jours, la supercherie est découverte : ce sympathique personnage n’a aucun diplôme. Il est arrêté, condamné. Une dizaine d’années plus tard, l’histoire est portée au cinéma, François Cluzet y incarne Philippe Berre, celui que l’on surnomme désormais "l’escroc de l’A28".
L'affiche du film "A l'origine" avec François Cluzet dans le rôle de Philippe Berre
Dernières années en Corrèze
Quand le film sort en salle, l’homme a disparu des radars. Mais il ne tarde pas à refaire parler de lui. En 2010, il est pour la deuxième fois interpellé et condamné pour avoir cette fois coordonné les secours et acheminé des vivres jusqu’à une commune de Charente-Maritime, au lendemain de la tempête Xynthia, avant de s’évaporer à nouveau. C’est finalement en Corrèze qu’il passe les dernières années de sa vie, en prison, puis dans une maison de retraite reculée. Dominique Rivière, médecin au centre pénitentiaire de Tulle, croise alors sa route, et il est en quelque sorte fasciné par l'homme.
L’hébergeur sarthois de Philippe Berre a conservé les articles sur l’escroc © Manon Foucault
Il avait pour projet d'écrire ses mémoires
"Comme j’aime bien les gens originaux, on a assez vite sympathisé" raconte Dominique Rivière, "à tel point qu’il m’a invité à prendre un pot chez lui une fois sorti de prison. Il avait un besoin d’être reconnu, considéré, et s’est inventé une espèce de personnage. Il vivait comme quand on était gamin, qu’on trichait au Monopoly et qu’on planquait un billet de 50 000 Francs sous la table pour se payer un hôtel !" plaisante-t-il. Avant de poursuivre : "Il avait comme projet d’écrire ses mémoires et de raconter notamment ce qu’il a vécu avec François Fillon, qu’il ne portait pas trop dans son cœur. Malheureusement, il n’a pas eu le temps. Il avait de sérieux problèmes de santé et il est décédé début juin". Philippe Berre avait 66 ans.
A Saint-Marceau, un souvenir encore présent
Les habitants de la petite commune de Saint-Marceau et des alentours ont toujours en mémoire le vrai-faux chantier de l’A28 et surtout le charisme de cet homme et sa bonne volonté dont personne n’a douté. "Il était malin, l’animal ! Les Sarthois en ont tous entendu parler, qui n’en a pas entendu parlé ?" ironise Serge, employé à la mairie de Saint-Marceau. Jacky, 74 ans, se souvient des ardoises laissées par Philippe Berre. L’escroc utilisait des coupons falsifiés pour payer les entreprises locales : "Maintenant qu’il est mort, il ne fera plus de malheureux".
Quand Philippe Berre vivait à la ferme Veynachter
Les époux Veynachter, premières victimes de la supercherie de l’A28. Sur les conseils du boulanger de Saint-Marceau, Philippe Berre se rend à la ferme d’Annick et Michel, à deux kilomètres du bourg. L’homme propose à Michel Veynachter 1 000 Francs par mois pour louer son gîte durant les quatre prochaines années. L’hôte accepte pour la moitié de la somme. La ferme devient alors un camp de base. "C’est lui qui a construit le parking et l’allée à l’entrée de la ferme" précise Michel. Ensuite, tout va très vite. Roger Martin, comme il se fait appeler, engage une quinzaine d’ouvriers, loue des engins de chantier et fait venir des géomètres.
Le gîte de la famille Veynachter à Saint-Marceau © Manon Foucault
Plaque amenée par Philippe Berre, retrouvée par Michel Veynachter © Manon Foucault
Des Sarthois pas rancuniers
A l’époque, Arnaud Eriat, la trentaine et sans emploi vit à proximité. Il est embauché illégalement par Philippe Berre : "Il était très strict, il aimait la discipline" se souvient-t-il. Arnaud, comme les autres salariés profitent de nombreux avantages grâce aux coupons bidons fournis par l’escroc : "Il avait un bureau à côté de ceux de l’Inspection du travail au Mans... C’était le comble !". Arnaud et deux autres hommes feront ensuite carrière dans le BTP grâce à Roger Martin. Au final, rares sont ceux qui en veulent à Philippe Berre. "Il était malade, c’était un mythomane, mais on a passé de bons moments" assure Annick Veynachter, appuyée par son mari : "Avec les copains, on aurait aimé discuter avec lui une dernière fois...". Philippe Berre, ou Roger Martin a disparu avec tous ses mystères.