Lettre de Charlotte Corday : "Nous allons saisir le tribunal administratif"
19 juin 2023 à 7h13 par Joris Marin / crédit photo : Lola Legendre
Les présidents de la région Normandie et du département du Calvados ainsi que le maire de Caen entendent s'opposer à ce que le ministère de la Culture s’accapare le testament politique de Charlotte Corday. Ils vont saisir le tribunal administratif.
Guillaume Le Conquérant et le Débarquement de juin 1944 semblent être moins sujet à polémique... Le testament politique de la Normande Charlotte Corday, "Adresse aux Français amis des lois et de la paix", guillotinée pour l’assassinat du révolutionnaire Jean-Paul Marat en 1793, a été vendu aux enchères, le dimanche 11 juin, en région parisienne et acquis conjointement par le Conseil régional de Normandie, le Conseil départemental du Calvados et la municipalité de Caen, pour une somme de 215 000 euros -sans les frais-. Dans cette lettre, l’Ornaise d’origine, née près de Vimoutiers, qui a grandi à Caen, explique les raisons de son geste.
Hervé Morin s'offusque
Mais voilà : le ministère de la Culture veut casser la vente et s'approprier le document pour l'intégrer aux Archives nationales : "L’Etat avait l’occasion sur les dix dernières années de revendiquer ces pièces, il ne l’a pas fait, et d’ailleurs, on peut se poser la question, pourquoi ne l’a-t-il pas fait alors qu’il s’agit quand même d’un document majeur de l’histoire de la Révolution française ?" bondit Hervé Morin, président du Conseil régional. "La revendication du ministère de la Culture doit normalement être adressée par lettre recommandée au propriétaire du document. Or, en l’occurrence, cette formalité n’a pas été respectée en temps et en heure. Selon l’expert que l’on a consulté, rien que sur la forme, la possibilité de revendiquer pour l’Etat apparaît nulle" ajoute l'ancien ministre de la Défense.
"Condescendance et mépris"
En l’état actuel des choses, la maison d’enchères Osenat a indiqué que le document restait sous séquestre dans ses coffres depuis le dimanche 11 juin. Cette situation pourrait durer "des années et des années, car une procédure va être engagée notamment par le propriétaire actuel de la pièce pour contester la revendication de l’Etat. Et pourtant, nous, collectivités locales, nous garantissions que le testament allait rester dans le patrimoine national et aussi dans le patrimoine de la Normandie. La leçon de Paris, la condescendance et le mépris à l’égard des provinciaux et des collectivités locales, c’est assez insupportable" fulmine Hervé Morin.
Un recours en justice
Joël Bruneau, le maire de Caen, complète : "On peut comprendre le souci du ministère de la Culture de préserver un document qui a une grande valeur pour l’histoire de France. Mais, pour préserver au mieux ce document, l’Etat doit laisser agir les collectivités qui se sont préoccupées du sujet avant lui". La région Normandie, le département du Calvados et la ville de Caen garantissaient que cette pièce majeure de l’histoire de la Révolution française serait, entre leurs mains, valorisée auprès du public et des chercheurs, notamment au travers d'expositions. Les trois collectivités locales comptent ne pas se laisser faire et vont saisir le tribunal administratif : "Notre détermination est totale, nous sommes totalement unanimes sur l’ensemble de l’opération et sur le recours qui va être porté" affirme Jean-Léonce Dupont, président du Conseil départemental du Calvados.
Agir pour sauver sa conception de la Révolution
En juillet 1793, Charlotte de Corday d'Armont -de son patronyme complet- prend la décision de "libérer la France du monstre sanguinaire" que représente Marat. Avant de passer à l’acte et d'enfoncer une lame de couteau dans sa poitrine, la jeune femme, membre de la famille du grand dramaturge Pierre Corneille, rédige un très long texte qu’elle intitule "Adresse aux Français amis des lois et de la paix", -une pièce unique vieille de plus de 230 ans-, un texte écrit d’un seul jet afin d’expliquer son geste à la nation, "pour délivrer à jamais la patrie de la tyrannie". Charlotte Corday voulait se débarrasser de Marat, "qui faisait régner la terreur. Elle souhaitait agir pour sauver sa conception de la Révolution".
Un pan de l'histoire de Caen
La Normande avait aussitôt été arrêtée après le meurtre et interrogée. Lors de son jugement, "l’Adresse aux Français amis des lois et de la paix" était absente du dossier. Le document ne réapparaîtra que quatre décennies plus tard, vendu aux enchères. Il est passé, depuis, entre les mains de divers collectionneurs privés. Pour Joël Bruneau, l’histoire de Charlotte Corday "a une résonnance particulière pour Caen, qui a toujours été une terre finalement modérée, avec cette période extrêmement riche de l’histoire de la ville, qui ne peut pas se résumer à la période soit du Duc de Guillaume, soit du Débarquement. Avec en particulier un 18e siècle extrêmement riche où les salons littéraires et philosophiques de Caen faisaient un peu autorité et qui ont bercé ces échanges, qui ont bercé la culture politique de Charlotte Corday, qui l’explique d’ailleurs très bien dans L’Adresse aux Français".