Covid-19 : "En Guadeloupe, la catastrophe sanitaire était prévisible" selon le docteur Bellefontaine
7 septembre 2021 à 11h52 par Noëlline Garon
Face à une flambée des cas de Covid-19 en outre-mer, l'Agence régionale de santé (ARS) des Pays-de-la-Loire a lancé un appel. Des soignants sont partis en renfort. Parmi eux : Laurent Bellefontaine, médecin urgentiste à l'hôpital du Mans.
Suite à l’appel de l’ARS des Pays-de-la-Loire, vous vous êtes rapidement porté volontaire pour partir en Guadeloupe, pourquoi ?
C’était une évidence, on a cette volonté d’aider et donc devant cette catastrophe sanitaire qui était prévisible, je me suis rendu compte que j’avais le temps de partir. Le volontariat s’est posé comme ça et je suis resté à Pointe-à-Pitre du 10 au 23 août.
Qu’est-ce qui vous a marqué lorsque vous êtes arrivé à l’hôpital de Pointe-à-Pitre ?
Je connaissais déjà cet établissement, puisque j’y étais allé entre 2017 et 2019. Je connaissais cet état de délabrement du CHU, qui est vieillissant. Avec des difficultés aussi organisationnelles à l’intérieur. Mais j’ai retrouvé quelque-chose que j’avais déjà vécu, puisque lors de mon passage j’avais subi les deux ouragans plus l’incendie de l’hôpital. Pour autant, je me suis retrouvé confronté à une surpopulation de malades aux urgences, très vite, avec des cas très grave. Tous avec des besoins en oxygène. Des patients au départ très âgés, mais au bout des treize jours de mission, l’âge décroissait très rapidement. De 80-90 ans jusqu’à avoir des quarantenaires, voire des trentenaires à la fin de la première semaine.
Vous parlez de surpopulation, comment ça se caractérise ?
A l’entrée des urgences déjà, il y avait un certain embouteillage. Dès qu’il y avait deux ou trois camions de pompiers qui arrivaient en même temps, les patients attendaient dans le couloir avec des bouteilles d’oxygène fournies par les secouristes. Ensuite, il n’y avait pas assez de prises murales donc on a très vite travaillé avec des bouteilles qui tenaient deux ou trois heures tout au plus. On a manqué de places aussi en réanimation. Du coup, les patients intubés, ventilés montaient dans les étages avec une solution thérapeutique qui n’était pas optimale. Si leur situation se dégradait on savait qu’ils n’auraient pas accès à la réanimation.
Et concernant le matériel ?
Il y avait beaucoup de système D. Le sparadrap pour les infirmières manquait. Les tabliers de protection n’étaient pas suffisants, donc ils étaient envoyés dans les services de réanimation. On travaillait avec des lunettes de protection et du gel hydroalcoolique.
Dans ce contexte, est-ce qu’on peut se sentir dépassé par la situation ?
On ne travaille pas dans des conditions optimales avec des moyens comme l’hôpital du Mans. Par exemple, beaucoup de brancards n’avaient plus de pieds de perfusion. Pour les attacher, on se servait de tringles à rideau, de tout ce qu’on trouvait autour de nous, voire même on scotchait les poches de perfusion au mur pour qu’elles soient fonctionnelles.
Avec les autres volontaires, comment ça s’est passé ?
On était très solidaire, il y avait beaucoup de bienveillance entre nous. On était aussi vigilants les uns envers les autres puisqu’on savait que cela serait difficile. On a été accompagné par la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) avec des personnels très présents, qui surveillaient le moindre regard des volontaires et qui avaient toujours un mot pour chacun. C’est important d’avoir ce suivi notamment pour les jeunes infirmiers, les internes. Pour certains, c’était un premier contact avec le terrain qui peut s’avérer émotionnellement très difficile à vivre.