Super ligue de football : l'analyse de Jean-Pascal Gayant
Publié : 19 avril 2021 à 17h53 par Jonathan Lateur
Economiste spécialisé dans le sport et professeur à l'université du Mans, Jean-Pascal Gayant nous livre son sentiment sur l'annonce de la création d'une super ligue européenne de football.
Guerre de sécession dans le monde du football. Douze grands clubs européens ont annoncé ce dimanche 18 avril la création prochaine d’une super ligue européenne fermée, faisant ainsi scission avec les compétitions organisées par l’UEFA. Professeur spécialiste de l’économie du sport à l’université du Mans, Jean-Pascal Gayant nous livre son analyse.
Quelle est votre réaction au lendemain de l'officialisation de la création de cette super ligue ?
C’était selon moi une annonce imminente en lien avec la validation de la nouvelle formule de la Ligue des Champions voulue par l’UEFA. En réalité, ce projet de regrouper les clubs les plus riches et les plus puissants, à l’instar des grandes ligues nord-américaines, date même de la fin des années 90. D’une certaine manière, la crise de la Covid a fini de convaincre les grands clubs de passer en force, en profitant du fait que la situation économique actuelle déstabilise le système.
Est-ce à dire qu’il s’agit seulement d’une question d’argent ?
Oui, d’ailleurs les clubs ne s’en cachent pas. Le football étant le sport le plus populaire sur la planète, cette compétition peut devenir la plus rémunératrice de l’histoire. En fait, les participants ont compris qu’ils avaient la capacité à générer sans doute une fois et demi à deux fois plus de ressources chacun en faisant partie d’une très grande ligue européenne fermée ou semi-fermée. Pour l’instant, le PSG et le Bayern de Munich sont restés à l’écart, mais ils finiront par rejoindre le projet, j’en suis convaincu. C’est aussi pour eux une nécessité vitale puisque les meilleurs talents iront à terme là où les rémunérations sont les plus fortes. Au final, je crains qu’on ne soit dans une situation incontournable. Une marche tel un rouleau compresseur vers un format presque naturel du spectacle sportif à échelle planétaire.
En réponse, L’UEFA et la FIFA menacent d’exclure les clubs et joueurs des compétitions nationales et internationale. Est-ce possible ?
Il y a une vraie question juridique derrière cette annonce. Un précédent existe avec le cas de patineurs de vitesse néerlandais menacés d’exclusion par la Fédération internationale de patinage pour avoir voulu participer à une compétition aux Emirats Arabes Unis. Ces deux sportifs ont ensuite obtenu un arbitrage favorable de la commission européenne. Les instances juridiques ont estimé qu’ils étaient libres de s’engager dans cette compétition et que la Fédération internationale de patinage n’avait pas la légitimité de les exclure. Si cette décision, qui n’est pas un arrêt d’une cour européenne, venait à être confirmée, les joueurs de football pourraient se retourner vers des juridictions qui pourraient leur donner raison.
Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui en regrettant la mort programmée de l’universalité du football, mais n’est-ce pas une position hypocrite compte-tenu de l’évolution récente de ce sport ?
En effet, les politiques sont les premiers à faire preuve d’hypocrisie. A la suite de l’arrêt Bosman en 1995, l’Union européenne n’a jamais légiféré pour tenter d’aller à l’encontre de la marchandisation accrue du spectacle sportif. Un système où la logique est celle de la concentration des ressources et des hauts salaires dans les mains d’un petit nombre de clubs. Il y aussi de l’hypocrisie de la part de l’UEFA qui a accepté en 1992 le passage d’une coupe d’Europe des clubs champions à une Ligue des champions qui allait inclure plusieurs des clubs des cinq grands pays européens. C’était la porte ouverte à cet écart qui s’est creusé entre un groupe de quinze très grands clubs et puis les autres qui sont de plus en plus déclassés et qui ne participent plus aux quarts ou demi-finales de cette compétition.
Les ligues nationales comme la LFP s’y opposent également
Par leur volonté d’augmenter sans cesse les droits télé et de contorsionner les championnats au besoin des diffuseurs, y compris en Asie, les ligues ont tout fait pour que la notoriété des meilleures clubs soit accrue, et que ces derniers se détachent du commun des clubs européens. En France, la LFP n’a pas eu d’états d’âme quand le Paris-Saint-Germain a bénéficié des revenus du Qatar qui ont totalement déstabilisé et déséquilibré le championnat. Tout le monde pousse des cris d’orfraie mais ces acteurs ont tous laissé faire voire même favorisé ce système. Aujourd’hui, c’est simplement l’achèvement d’un processus.
Peut-on légitimement comparer cette super ligue à la NBA aux Etats-Unis ?
La différence, c’est que le sport américain est depuis toujours organisé sous forme de ligue fermée, tout à fait à l’inverse de ce qui se passe en Europe, avec ce système pyramidal fait de promotions ou relégations au mérite sportif. Aujourd’hui, les grands clubs européens ont simplement pris conscience qu’ils avaient la possibilité de créer une major ligue de football plus importante et plus lucrative.