Agents violentés : "Le père de famille m’a frappé à la tête et dans les côtes"
13 avril 2023 à 14h07 par Joris Marin / crédit photo : Sweet FM
Dans le cadre de leurs fonctions, les agents du Conseil départemental du Calvados sont de plus en plus confrontés à des actes d’incivilités voire à des agressions. Raison pour laquelle la collectivité appelle les usagers au respect de ses collaborateurs.
Guillaume Dekein se souvient très bien du 15 septembre 2020. A l’époque, le trentenaire travaillait à Caen, dans le quartier des Rives de l’Orne, déjà dans le social, et déjà pour le Conseil départemental du Calvados. Ce jour-là, il a été victime d’une agression physique en extérieur, devant son bureau. "J’ai reçu des coups au visage et dans les côtes. Mon t-shirt a été déchiré. Je me suis retrouvé presque torse nu devant mes collègues. L'une d'entre elles est intervenue, des gens dans la rue également, pour pouvoir nous séparer, avant l’arrivée de la police". L’auteur des faits, un papa, ne comprenait pas pourquoi il n’avait pas le droit de voir ses enfants, ni de correspondre avec eux. "Ce qui a, je pense, augmenté son degré de colère, c’est que je suis à l’origine du placement de ses petits en famille d’accueil, en 2017-2018. En changeant de poste, j’ai continué le suivi de cette fratrie. Pour le père de famille, il a dû être compliqué de se retrouver face à moi".
De la prison ferme pour l'agresseur
Guillaume Dekein s’est en sorti avec un coquard et des égratignures, mais aussi et surtout avec des blessures psychologiques. L’agresseur, lui, a pris de la prison ferme. "Le dépôt de plainte ce n’est pas pour emmerder (sic) les gens, c’est pour leur faire prendre conscience qu'ils ne sont pas tout puissant et qu’ils ne peuvent pas tout faire. Dans le social, on a un seuil de tolérance assez haut dans la relation à l’usager. Mais, on ne peut pas tout accepter, tout le temps. Je ne dis pas que les incivilités et les agressions font partie de notre quotidien mais il est assez fréquent dans nos métiers d’être dans la gestion de l’agressivité de publics vulnérables qui ne comprennent pas toujours nos organisations et les réponses apportées".
Nouvelle scène d'agressivité, un peu plus tard
Ce 15 septembre 2020 a constitué un épisode traumatisant. "Je me suis retrouvé en accident du travail pendant quelques semaines sans réussir à comprendre ce qui était le plus douloureux pour moi : les coups ou le fait de terminer quasi torse nu devant ses collaborateurs, avec l’image du chef censé les sécuriser et pas en capacité de le faire à ce moment-là". Guillaume Dekein a ensuite repris son poste. Une nouvelle scène d’agressivité, quelques semaines plus tard, avec un autre père, "qui a pété les plombs dans nos locaux et qui a fait que j’ai rendu ma casquette". Il a enchaîné sur une mission sans relation avec les personnes accompagnées. Cela a duré un an et demi, période au cours de laquelle "ma direction, le service ressources humaines et le médecin du service santé ont joué un rôle hyper important et m’ont permis de me projeter à nouveau sur autre chose, en parallèle d’un travail personnel avec un psychologue".
Sentiment d'utilité
Le travailleur social -cela fait plus de dix ans qu’il œuvre dans ce secteur- a ensuite connu plusieurs expériences avant d’atterrir à Douvres-la-Délivrande, à un poste au sein duquel il n'est pas en contact au quotidien avec les usagers. Il est actuellement responsable de circonscription sur le secteur de Caen ouest, pour le Conseil départemental du Calvados. Ses missions sont variées : de la gestion d’équipes -assistants sociaux, éducateurs, médecins, administratifs...- à la gestion des enfants placés en famille d’accueil, en passant par l’accompagnement des bénéficiaires dans le cadre du RSA. Il exerce "une profession pas tous les jours facile, une profession demandant beaucoup d’énergie. Mais, pour autant, elle reste passionnante. J’apprécie ce sentiment d’utilité".
La mort d'un agent des routes en 2022
Dans le cadre de leurs fonctions, les agents départementaux du Calvados sont de plus en plus confrontés à des actes d’incivilités. Des agents travaillant sur les routes, dans les ports, auprès des enfants, dans le secteur social ou ailleurs... Ce phénomène, qui n’est pas nouveau, a tendance à s’amplifier. La collectivité recense d'habitude environ 80 agressions et incivilités -violences physiques et verbales, harcèlement, agissements sexistes et discriminations- de ses agents chaque année. Seulement les actes déclarés. Le compteur est monté à 106 en 2022. S'ajoutent malheureusement à ce constat, des faits de nature non intentionnelle mais aux conséquences dramatiques : on pense à cet accident survenu en septembre 2022 sur une bretelle de la voie rapide entre Caen et Ouistreham, lorsque deux agents des routes du département avaient été percutés par une voiture, et que l’un d’eux était décédé.
"Le respect, ni plus ni moins"
Raison pour laquelle la collectivité appelle les usagers au respect de ses collaborateurs. Et lance, en parallèle, une action de sensibilisation. "Le respect ni plus ni moins", un message que l’on va pouvoir distinguer dans les espaces d’attente des centres sociaux et des circonscriptions d’action sociale ou encore -sur la route- sur les vitres arrières des 37 véhicules d’intervention du Conseil départemental. La collectivité a également renforcé la mise en place de diverses actions, comme des formations adaptées de désamorçage et gestion des conflits, d’accueil du public, de gestion du stress, de techniques de self-défense... Ou encore la sécurisation des sites les plus sensibles par l’aménagement de sas et l’installation de visiophones entre autres.
Montée de l'agressivité
"On constate depuis deux ans une montée de l'agressivité, qui peut être verbale, voire physique" regrette Patrick Thomines, conseiller départemental en charge du personnel. "20%, c'est énorme. Mais cela n'est pas un problème arrivant seulement à notre département. On rencontre dans la vie de tous les jours de plus en plus de personnes agressives. Les maires le constatent, les différents élus dans leur collectivité, aussi" resitue-t-il. "Nous avons donc lancé début avril cette campagne sur l'incivilité. Il y a besoin de temps en temps de savoir s'écouter, savoir se parler, avoir du respect vis-à-vis de l'autre".
"Il faut apprendre à se contrôler"
"Les agents sont là pour travailler, pas pour se faire agresser. Nous sommes présents, comme dans les centres d'action sociale, pour apporter des solutions et des réponses au public, qui doit se comporter normalement. Il y a parfois des attitudes inadmissibles. Il faut apprendre à se contrôler" affirme Patrick Thomines, surtout quand l'interlocuteur désiré n'est pas disponible dans l'immédiat. La crise sanitaire a modifié beaucoup de choses, en particulier les confinements, arrivés de manière brutale. "Des personnes ont continué à travailler, d'autres non et ont dû rester à la maison, avec pour certaines un petit logement donnant cette sensation d'étouffement. Ce qui a pu créer à l'intérieur des familles des crispations".