"Un sentiment d'effroi et d'horreur" pour l'évêque de Blois
Publié : 7 octobre 2021 à 20h21 par Nicolas Terrien
Au surlendemain de la parution du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Eglise, l'évêque du diocèse de Blois, Monseigneur Jean-Pierre Batut, répond aux questions de Sweet FM.
Sweet FM : Quelle réaction vous inspirent les conclusions de la commission Sauvé ?
Mgr Jean-Pierre Batut : Un sentiment d’effroi et d’horreur devant ces chiffres qui sont au-delà de ce que nous aurions pu imaginer. J’ai aussi une pensée pour les victimes, car derrière chacun de ces chiffres, il y a des personnes avec ces drames qu’elles ont vécus et l’extrême difficulté qu’elles ont eu à repartir dans la vie et à se reconstruire. Je pense aussi à l’immense travail qui nous attend au sein de l’Eglise afin de faire en sorte qu’elle reste une maison sûre.
Vous vous y impliquez vous-même au sein de la Conférence des évêques de France ?
Oui. J’ai participé aux travaux des assemblées plénières, et j’ai aussi été chargé de conduire un groupe de travail sur la mémoire des crimes sexuels et des abus. A cette occasion, j’ai pu travailler avec des personnes victimes. Ensemble, nous avons pu réfléchir sur la manière de garder la mémoire de ce qui s’était passé. Il en résulte un projet de création d’un lieu de mémoire qui pourrait se trouver dans un grand sanctuaire, comme à Lourdes. Ce serait un lieu de méditation, mais aussi un lieu d’archives que pourraient consulter des spécialistes. Il pourrait y avoir aussi des expositions, des conférences... Bref tout ce qui peut contribuer à faire en sorte que les causes ne puissent plus engendrer les mêmes effets.
A première vue, le diocèse de Blois ne semble pas pointé du doigt par le rapport Sauvé...
Le diocèse apparait à deux reprises dans le rapport de Jean-Marc Sauvé, mais sous l’angle de la création des cellules d’écoute*, puisque nous avons été précurseurs dans ce domaine sur la région Centre-Val-de-Loire. Cette cellule d’écoute que j’ai voulue généraliste à mon arrivée en 2015 s’est spécialisée dans l’écoute des victimes s’il s’en présente. Nous n’avons pas été mentionnés autrement. Je pense que notre diocèse a été relativement épargné par ces crimes. Une des raisons, c’est que nous ne disposons pas de structures de type petit séminaire, pensionnats, activités d’été encadrées par des prêtres.
En six ans, aucun fait n’a donc été signalé sur la ligne d’écoute dédiée en Loir-et-Cher ?
Non, aucun. Nous avons eu des personnes qui ont appelé parce qu’elles étaient en détresse, mais pour d’autres raisons. Nous n’avons pas eu à connaitre des abus via cette cellule d’écoute.
Cela peut évoluer : la parole peut se libérer, même si, comme le souligne le rapport, c’est loin d’être facile...
Oui, vous avez raison. Il est difficile pour une victime d’accéder à la parole et de dire ce qu’elle a vécu. Maintenant que le rapport est connu, des personnes qui n’ont jamais pu -ou osé- parler pourront désormais le faire.
Il reste aussi les questions du repérage et de la prévention qui se posent toujours...
Dans ce domaine, il y a deux aspects. Il y a déjà une dimension de vigilance et de prudence. Par exemple, chaque prêtre qui accueille des jeunes dans une aumônerie les reçoit derrière un bureau vitré. Il faut aussi être plus attentif aux signes que peuvent donner des enfants, comme des troubles du comportement qu’il faut savoir déceler. Le deuxième aspect, c’est donc la formation. Dans le diocèse de Blois, l’enseignement catholique a mis en place une formation pour la protection des publics fragiles. Il ne s’agit pas que de prendre des mesures de surveillance, mais de faire en sorte que toutes les personnes qui s’engagent dans un processus éducatif, qu’elles soient prêtres ou enseignants, puissent avoir un bagage suffisant pour mettre en œuvre cette attention et cette bientraitance à l’égard des enfants et des jeunes.
Vous-même, à titre personnel, avez-vous déjà été témoin de près ou de loin de phénomènes d’abus sexuels dans l’Eglise ?
Il y a bientôt un demi-siècle, lorsque j’étais étudiant, j’animais une sorte de patronage dans ma paroisse parisienne. Il se trouve que l’un d’entre nous a commis un abus sexuel contre un enfant. Je n’en est pas été directement témoin mais je l’ai su, ce qui me permet de mesurer la façon dont on traitait ce genre de drame à l’époque ! L’étudiant en question a été viré par le prêtre, sans savoir ce qu’il deviendrait ou ce qu’il pourrait faire. De plus, la famille de cet enfant de 10 ans a dit qu’elle ne portait pas plainte, puisque c’était la paroisse. Et personne n’a porté attention au drame qu’a vécu cet enfant ! On ne se souciait pas des victimes.
La semaine prochaine, Gérald Darmanin va convoquer Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, suite à ses propos sur le secret de la confession plus fort que les lois de la République. Que vous inspire cette position ?
Nous ne sommes pas sur le registre législatif, mais sur celui de la conscience qui a ses règles propres. Le secret de la confession n’a de sens qui si la personne qui va se confesser sait que ce secret sera tenu. Sinon, elle n’ira pas ! Le secret de la confession est tenu par le secret professionnel, donc nous ne pouvons pas connaître un délit ou un crime de ce genre. En voulant supprimer cela, on risque de supprimer le réflexe qui peut pousser un auteur à se confesser. Je crois que nous sommes face à un dilemme qui nécessite une grande réflexion. L’Eglise est tout à fait ouverte à un dialogue avec les instances publiques à ce sujet.
* La cellule d’écoute contre les abus du diocèse de Blois est joignable au 02 54 56 40 61 ou par courriel, paroledevictimes@catholique-blois.net